et dans nos têtes y'a un blizzard. (pashae)

t’es pas vraiment d’bonne humeur ce matin.
tu traines les pieds. tu râles tout bas. sale nuit et insomnie.
c’était pas la joie hier soir. c’était pas la fête ni la soirée que t’avais imaginé. dispute et engueulades. tu d’vrais commencer à avoir l’habitude. que tout déraille. que ça aille mal. l’impression que la terre s’arrête brusquement de tourner. tu perds ton équilibre et tes points de repères. t’as pas l’habitude, shae. ces trucs de couple et le tralala. ça te brouille un peu le cerveau. ça t’embrume un peu les sens. pourtant, t’es amoureux. et c’est à peu près la seule certitude que t’as d’ailleurs. amoureux de paco. de ses yeux et ses caresses. paco qui change d’humeur comme d’chemise. paco le brouillard. le blizzard. qu’on a du mal à attraper et discerner.
t’es pas vraiment d’bonne humeur ce matin.
tu veux pas aller bosser. tu veux pas risquer d’te prendre la tête une nouvelle fois. comme hier soir. sans raison. pour rien. pourquoi ? tu sais pas. t’en sais rien. t’as pas cherché à comprendre shae. t’as juste claqué la porte de son appart pendant qu’il te gueulait dessus. paco la montagne russe. qui te retourne l’estomac. qui t’plante une seringue d’adrénaline dans le coeur. l’truc qui fait peur mais dont on peut pas se passer. parce qu’au final, t’en r’demandes toujours. de ses sourires et ses mots crus. t’es attaché, gamin. accro. addict. mieux qu’la marie-jeanne et qu’un saut en parachute réunis.
y’a un peu de paco sur ta peau. tu trouves ça beau.
et tu t’souviens aussi. derrière le comptoir du salon, l’regard perdu dans le vide. tu t’souviens de ses doigts sur ton épiderme pour la première fois. ce jour où tu l’as rencontré. ce jour où il a dessiné sur ton corps. t’avais l’impression d’être seul au monde. ton regard fixé sur sa mine concentrée. c’était pas si loin mais ça t’semble une éternité.
tu finis par redescendre sur terre. son rendez-vous qui vient d’finir. t’encaisses le client ravi, fait semblant de t’occuper sur l’ordinateur de la réception. t’as conscience qu’il va débouler d’une minute à l’autre, paco. surement pour t’reprocher d’être arrivé en retard et d’avoir dû s’occuper de ton boulot.

longue soirée, longue nuit, longue vie. longue soirée, qu'a commencé par gueuler, par crier. tu sais pas pourquoi t'étais énervé, c'était p't'être parc'que t'as fait tomber l'vase de maman, qu'du coup il est cassé et qu'tu sais pas comment l'faire réparer. parc'que c'est une des dernières choses qu'il t'reste d'maman, un vase bleu, bleu comme ses yeux qu'tu crois revoir briller de milles feux lorsque tu l'regardes. c'était un peu d'la faute à robbie, robbie ton furet, il courait d'partout dans l'appartement hier soir et en voulant l'rattraper, ça a été la catastrophe.
pour certains c'est rien, c'est pas grand chose. pour toi, c'est l'horreur, t'as peur qu'maman t'en veuille, peur qu'elle soit déçue, d'là où elle est. alors t'étais pas d'humeur, quand il est arrivé, shae. shae, celui qu'a l'don d'te remettre du baume au cœur, qui t'rassure un peu quand ça va pas malgré lui, sans qu't'aies à l'dire et passer pour un faible.
alors, il s'est tiré. t'as dit des choses horribles et il est parti. envolé. et quand il est parti, t'as craqué, paco. longue nuit d'horreur, à lutter contre toi-même, contre tes démons intérieurs. longue nuit à t'torturer, à t'faire mal, à t'rappeler que t'es qu'un connard qui mériterait pas d'exister.
c'matin, t'as pas eu besoin d'réveil pour t'lever, t'as pas fermé l'œil, ça s'distingue aisément sur tes traits tirés, sur les cernes et tes joues creusées. tu traverses une période sans, en c'moment, ça va sans dire. pourtant, tu continues d'bosser, parc'qu'y a shae, qu'shae il te permet de garder la tête hors de l'eau.
t'as bien cru qu'il viendrait pas, aujourd'hui, et tu lui en aurais pas voulu, enfin, tu sais pas trop, en réalité. parc'que tu connais même pas tes propres réactions. paco, t'as accueilli ton premier client de la journée, tu l'as reçu à la place du blond et t'as attaqué sans t'poser de question. deux longues heures à poursuivre un tatouage déjà commencé quelques temps auparavant, faut bien faire les finitions et ça t'rend l'coeur léger malgré tout d'voir les gens sourires parc'que tu dessines sur leur peau. le jeune homme ravi quitte la pièce en t'remerciant, tu lui indiques l'protocole de soins à suivre et il s'en va, au moment où t'apparais à l'accueil, tes yeux s'arrêtent instantanément sur shae, les yeux rivés sur l'ordinateur. tu disparais d'nouveau quelques instants, t'es pas l'genre à faire dans l'romantique mais tu t'sens coupable d'hier soir et ça t'bouffe un peu, alors c'matin, t'as été chercher l'petit déj, rien d'fou, c'est rien qu'des pains aux chocolats et des croissants, t'as aucunement l'intention d'acheter son pardon, mais.. qu'importe, tu l'rejoins à son bureau, sachets en main. service express !   

parfois, t’as du mal à l’suivre, paco. c’est l’genre de sentiment qui t’dérange. l’genre de situation qui te braque quand tu voudrais rester. quand tu voudrais arranger les choses. essayer. mais t’es pas aussi fort qu’tu le prétend, shae. tu préfères prendre la fuite. t’en aller. t’évader. comme avec ton père. ce géniteur qui n’avait que ça à tes yeux. t’es plutôt une grande gueule, shae. sauf que la plupart du temps, y’a plus personne quand faut passer à l’action. quand faut se lever pour défendre ses opinions et ses envies. c’est c’qui s’est passé hier. ça et aussi ta fierté qui en a pris un coup. un grand coup. d’te faire gueuler dessus à peine la porte franchie sans savoir pourquoi.
t’en as pas dormi d’la nuit.
à t’demander si c’était la fin.
à te torturer pour savoir c’que t’avais pu faire de travers.
c’est récurrent dans votre couple. à croire que t’as pris option relations conflictuelles à la naissance. t’arrives toujours à tout faire merder au bout du compte. sans l’vouloir. même quand tout va bien, y’a forcément un truc qui cloche. shae l’aimant à emmerdes. t’as une sale tronche ce matin. t’étais prêt à retourner dans tes draps défaits plutôt que d’affronter la journée. fuir. encore. fâcheuse habitude. sauf que t’as l’esprit fatigué d’trop réfléchir et rien d’mieux à faire. alors tu t’es quand même pointé au taf. ce job que tu dois à paco.
tu prierais presque l’bon dieu pour qu’un autre client entre. pour pas devoir avoir à faire semblant d’être occupé. mais rien. c’est calme aujourd’hui et l’planning est quasiment vide. tu sais que t’arriveras pas à échapper à paco. qu’tu vas pas pouvoir te planquer comme un gosse. et t’as raison d’ailleurs. parce qu’à peine le client parti qu’le voilà à tes côtés. il a un peu l’air penaud, un sachet d’la boulangerie du coin dans la main. service express qu’il te dit. et toi, tu peux pas t’empêcher d’sourire comme un con. vous allez peut-être pas vous prendre la tête au final. pas aujourd’hui du moins. t’ouvres le sac en papier pour en tirer un croissant. ça vaut pas ceux d’paris mais tu t’y es fait.
sache que j’fais quand même la tête.
tu lui lances en fronçant les sourcils. t’es pas vraiment crédible mais qu’importe. t’es trop heureux pour tenter de sauver les apparences. 

faut dire qu't'es pas simple tous les jours, paco. la vraie question est : as-tu été simple, un jour, dans ton existence qui n'est autre qu'un perpétuel sursis ? ça t'emmerde, d'être celui qu't'es, un putain d'connard ambulant, mais t'as appris à t'y faire, t'as appris à faire avec. t'as appris à t'faire à l'idée que tu pouvais pas lutter contre toi-même éternellement, qu'tes démons seront toujours là pour t'pourrir la vie et faire du mal aux autres. bordel d'existence, paco.
existence que t'as passé la nuit à ruminer après, à t'demander si elle en valait bien l'coup.
mais, shae est là. et shae, tu l'abandonneras pas. jamais.
faut dire qu'il est pas au courant non plus, l'beau blond, qu't'es qu'un taré, faudra peut-être penser à lui dire, à l'occasion. longue nuit, long début d'journée, trop longue vie qu'tu penses parfois à écourter. les yeux sur des corps sur lesquels tu déverses ta pensée, les yeux sur des corps qui n'demandent qu'tes dessins, tes mains tatouées s'affairent à les satisfaire. t'essaies d'pas penser, c'est bien trop compliqué, surtout quand tu sais pas s'il est venu c'matin, quand tu sais pas où vous en êtes, est-c'que vous êtes encore un nous ou pas. est-c'qu'il va t'en vouloir ? probablement, tu lui as hurlé d'ssus de façon injustifiée. l'client s'est tiré et toi, t'as débarqué, tu l'as vu, t'es réapparu sachet en main. drôle d'façon d'enterrer la hâche de guerre, t'as pas l'habitude de c'genre de choses. tu l'vois sourire quand tu balances ta minable expression en guise de bonjour, ça t'fait chaud au coeur, alors qu'tu déposes le sachet. tu t'permets même une marque d'affection lorsque tes lèvres viennent effleurer doucement sa joue avant qu'tu lui répondes : c'est rare, mais sache que j'suis désolé. j'aurai pas dû m'énerver comme ça. tu t'excuses, mais tu sais pertinemment qu'ça va recommencer, que ça sera toujours là. tu le scrutes un instant, il a l'air épuisé et ça t'tord le bide. shae, la nuit, c'est fait pour dormir, j'sais que t'aimes bien les étoiles mais faut penser à t'reposer, qu'tu déclares, mi-amusé, mi-réprobateur.